Brève biographie de Françoise Chambon devenue Soeur Marie-Marthe

Au carrefour de la route qui descend de la gorge de Saint-Saturnin pour rejoindre la route de Sonnaz (rue de Montagny), à quelques mètres de la célèbre croix rouge qui a donné son nom à cet ancestral lieu-dit, la rue de la Brule entame son ascension en direction du moderne plateau de Chambéry-le-Haut.

Immédiatement à main gauche, une humble bâtisse patinée par les ans, qu'égaie une vigne vierge montant à l'assaut de ses murs, est entourée d'une vénération particulière de la part des anciens du quartier. Le nom par laquelle ils la désignent, «la maison de la sainte », suffit à illustrer le culte qui secrètement l'entoure.

C'est en ce lieu, au-dessus de la porte étroite de l'ancienne écurie, que le 6 mars 1841 a vu le jour Françoise Chambon, dont la vie religieuse et les événements surnaturels qui l'ont marquée ont donné lieu à maints témoignages.

Aînée d'une fratrie de huit enfants, la jeune Françoise subit, en cette Savoie du XIXè siècle qui ignore encore tout de la future révolution industrielle, la dureté de vie d'une famille de condition modeste. Le père gagne avec peine le pain du ménage à force de longues journées de labeur partagées entre la culture de quelques arpents de terre et des travaux de manutention aux carrières de pierres voisines.

Bien avant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, l'enfant reçoit l'enseignement du catéchisme exigé par la foi religieuse intense qui participe du ciment familial.

Le premier événement surnaturel survient le jour du vendredi saint de l'année 1849 ou 1850. Conduite par sa tante et marraine dans la crypte de l'église de Lémenc et invitée à se mettre à genoux, les bras en croix, pour la récitation de Pater et d'Ave en signe de pénitence, l'enfant est soudainement mise en présence d'une apparition :

« il était attaché sur la Croix, tout couvert de sang, tout déchiré … Oh ! dans quel état il était ! …Il ne m'a rien dit. Après un peu, ma tante m'a emmenée. Je ne lui ai pas dit que je L'avais vu, ni à elle ni à personne ».

La vocation religieuse de Françoise naît dès cet instant et va bientôt recevoir sa consécration derrière les hauts murs du couvent de la Visitation, installé depuis 1806 sur les pentes de la colline des Monts. Le 29 avril 1863, à l'issue de neuf mois de postulat, elle reçoit, avec le voile blanc des Visitandines, le nom de Sœur Marie-Marthe.

Affectée en qualité de «réfectorière » au pensionnat de jeunes filles attaché au couvent, la nouvelle religieuse cumule les tâches les plus humbles : entretien de la chapelle, récolte des fruits du verger. Qui peut pressentir que, dès la nuit venue et sa cellule rejointe, celle-ci vit un intense face-à-face avec une voix céleste qui lui impose, jour après jour, sacrifices et exercices pénitentiels, allant jusqu'au port d'un cilice, voire d'une couronne d'épines.

Sœur Marie-Marthe s'en ouvre bientôt à ses supérieures en leur transmettant un vœu exprimé par son surnaturel interlocuteur : « Dis à tes mères de tout inscrire ce qui vient de moi et encore ce qui vient de toi … Je désire que tu montres tout ce qui se passe en toi pour le bien que cela doit faire plus tard lorsque tu seras au ciel » .

Consultés sur la suite à réserver à cette demande, le chanoine Bouvier, confesseur du couvent, et le vicaire général Mercier donnent l'aval de la hiérarchie diocésaine sans toutefois en référer à l'archevêque, le cardinal Billet, dont ils ne souhaitent pas troubler la quiétude d'esprit exigée par ses 85 ans.

Les prieures successives de la Visitation vont ainsi consigner scrupuleusement les rapports que journellement leur fera Sœur Marie-Marthe sur les voix et apparitions qui régulièrement la « visitent ». Leurs écrits, longtemps gardés secrets, constitueront autant de témoignages porteurs d’interpellations pour l’historien.

Les apparitions, certifie la supérieure de l’époque, loin de s’espacer dans le temps, ne cessent de s’intensifier : « Notre Seigneur lui montre chaque jour Ses divines plaies. Elles apparaissent d’une manière sensible aux yeux de son âme, tantôt resplendissantes, ce qui l’enivre de joie, tantôt ensanglantées, ce qui lui occasionne un martyre inexplicable ».

En 1869, Sœur Marie-Marthe entame un jeûne de plusieurs mois gardant intactes ses forces et sa robustesse dans le travail, à la stupéfaction de la communauté Puis, le 12 juin 1874, à l’aube de la fête du Sacré-Cœur, elle reçoit un premier stigmate au pied gauche.

Les mères Marie-Alexis Blanc et Thérèse-Eugénie Revel procèdent à l’examen de la blessure «assez profonde, de la grandeur d’une pièce de cinquante centimes et très douloureuse ».

Celles-ci témoigneront plus tard : « La pauvre enfant entra dans une inquiétude mortelle, redoutant qu’on découvrit dans la communauté la nouvelle faveur dont elle était l’objet. Elle supplia Jésus de la lui retirer ou de la rendre, au moins, tout intérieure. Durant plusieurs mois, elle ne put l’obtenir. Chaque mercredi, le sang commençait à couler de ces plaies, pour ne s’arrêter que le vendredi soir, les premières fois d’une manière tellement abondante que sa chaussure en était toute remplie ».

Stigmates, révélations, prédictions, extases ne vont cesser dorénavant de marquer les vingt-trois années qui restent à vivre à Sœur Marie-Marthe, au sein d’une communauté où le secret de ses visions célestes s’est largement éventé. S’y ajoute l’attribution de certains événements considérés comme miraculeux telle, en mars 1881, la guérison inattendue d'un élève du pensionnat atteinte d'une «fièvre ardente ».

Le jeudi 21 mars 1907, à l’issue d’une déchirante agonie ponctuée d’instants de contemplations extatiques, Marie-Marthe rend le dernier soupir. Dans la perspective d’une exhumation qui ne manquera pas d’entraîner, à ses yeux, la divulgation des témoignages consignés depuis trente ans, la supérieure fait déposer dans la bière une boîte de fer scellée du sceau du monastère attestant de l’identité de la défunte.

Inhumé d’abord dans le caveau que possédait le couvent au cimetière municipal du Paradis, le corps de Sœur Marie-Marthe est ramené dans l’enclos du couvent en mai 1917. Puis, le 11 février 1924, ses restes sont rassemblés dans une urne de métal et déposés sous une plaque de marbre en la chapelle de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, lieu qu’elle affectionnait pour ses méditations silencieuses.

En quittant Chambéry en 1956, les Visitandines n’omettent point de faire transporter dans leur couvent de Saint-Pierre-d’Albigny l’urne reliquaire de Marie-Marthe Chambon, ne laissant pour la mémoire de ses compatriotes chambériens que son humble maison natale de la Croix-Rouge … où il advient encore de voir quelques poignées de fidèles, perpétuant le culte aux Saintes Plaies, venir y faire halte en discrets et pieux pèlerinages …